Photo : Lundi et Oumou coupent des tomates ©Laura-Esméralda Salgon
Ces 8 femmes immigrés originaires d’Afrique ont lancé un service de restauration destiné aux populations défavorisés de la ville, la plus pauvre de France. Encadré notamment par la mairie et l’ONG Grdr, le projet valorise le savoir-faire de ces mères de famille.
Ce jeudi matin, Koudedia, Lundi, Damba et Oumou s’activent en cuisine dans une ambiance joyeuse. Elles épluchent les carottes, coupent les oignons et préparent les cuisses de poulet pour le couscous qu’elles vendront au Centre Communal d’Action Sociale (CCAS) de Grigny. L’établissement public distribuera ensuite les plats « cuisinés avec amour » à des personnes en grande précarité. L’association les Mamas de Grigny est un restaurant solidaire qui réunit huit « mamas » immigrées d’origine africaine qui cuisinent mafé, couscous ou encore tieb, chaque lundi et jeudi matin dans la petite cuisine de l’épicerie solidaire de la commune. Un aboutissement, pour ces femmes qui sont souvent dans une situation irrégulière, contraintes de vendre brochettes ou maïs sur le parvis de la gare de Grigny, pour joindre les deux bouts.
Cécile Lundi que tout le monde appelle Lundi s’attelle à couper les oignons. Originaire du Congo, elle a quitté ses deux enfants pour s’installer en France. Le projet des Mamas de Grigny s’inscrit dans la continuité de son histoire personnelle. « Nous, en Afrique, nous avions un restaurant et une pâtisserie. Nous vendions des cakes, des croissants et des beignets. », énonce-t-elle avec une pointe de fierté dans la voix. Lundi s’est installée à Grigny, il y a cinq ans après avoir quitté Paris car son logement était « trop petit ». Depuis son arrivée en France, elle s’est échinée à trouver du travail. « Ici, on n’a pas le choix, on travaille. On est venus pour travailler » affirme-t-elle. La mère de famille âgée de 50 ans travaillait à temps partiel en tant que femme de ménage dans un collège à Rueil Malmaison (Yvelines), pendant 8 ans. « Il m’arrivait parfois de rentrer à 22 heures, avec les transports », confie Lundi. En parallèle, elle vendait de la nourriture africaine sur le parvis de la gare. Six personnes se partageaient les escaliers qui surplombent l’arrêt du RER D de Grigny, vendant brochettes, prunes ou encore écouteurs. « On a eu des problèmes avec la police. Ils contrôlent, ils fouillent puis jettent toute la marchandise à la poubelle » déplore Koudedia, une autre mama, une Malienne de 39 ans.
Il aura fallu une rencontre décisive pour que les deux femmes se lancent dans l’aventure les Mamas de Grigny: « C’est Roberta qui est venue nous chercher sur le parvis de la gare » raconte Lundi. Roberta Bocca fait partie du Grdr (Migration-Citoyenneté-Développement) une ONG qui œuvre en faveur du développement en Afrique de l’Ouest, en France et en Europe. La jeune femme à l’accent italien chantant est venue à Grigny il y a un an et demi pour faire un simple rapport sur les vendeurs à la sauvette. Très vite, elle repère le potentiel de ces femmes. « Quand je suis arrivée à Grigny, on m’a dit que six femmes m’attendaient à mon bureau à Pablo Picasso. Je ne savais pas à quoi m’attendre. J’étais gelée, elles me regardaient sans rien dire pendant que je leur présentais le projet. Puis à la fin elles m’ont dit: “Oui, on est d’accord, on y va.’ », se remémore Roberta.
L’association leur fournit ensuite l’appui nécessaire pour qu’elles développent le restaurant : cours de cuisine avec des chefs, soutien juridique et formation de marketing et de communication. « Elles ont des compétences et des capacités de cuisine formidables », s’émerveille Roberta face à la rapidité d’apprentissage des Mamas de Grigny, « elles sont capables de s’adapter à une cuisine totalement différente de leur pays d’origine ».
« Une fois que nous aurons la réponse de la mairie pour les aides et que nous aurons imprimé les flyers, les gens viendront. » espère Lundi. Pour l’instant, l’association travaille dans une petite maison, à dix minutes à pied de la gare. « Si on veut cuisiner à terme pour 300 personnes, on a besoin de quatre plaques de cuisson plus grandes » ajoute Lundi. Si Roberta reconnaît que la mairie a été d’une grande aide, elle regrette qu’à ce jour ces femmes ne puissent pas recevoir une rémunération suffisante pour leur travail « Certaines continuent leur activité sur le parvis de la gare. Elles disent qu’elles sont bénévoles et ça me déprime ». Ce jeudi matin, des architectes sont venus inspecter les locaux partagés pour évaluer les travaux à faire. Mais la jeune femme membre du Grdr veut y croire. Pour elle, développer ce genre d’initiatives avec des femmes issues de l’immigration a de nombreuses vertus : « On s’est rendu compte que passer par la cuisine aidait à débloquer beaucoup de situations socio-professionnelles et familiales. On développe un lien de confiance ». Amandine Spire, maître de conférence en géographie à l’Université Paris VII et qui fait partie du projet depuis six mois, abonde en ce sens : « C’est la reconnaissance d’une activité économique. C’est donner la place à des personnes peu entendues qui sont souvent dans des situations irrégulières et dans une grande précarité ». Olivier Cousin, réalisateur de Murs de Papiers, renchérit « On cherche à donner de la visibilité à ces femmes en leur redonnant leur place et en suscitant le débat. » Ce matin-là, Olivier Cousin et Amandine Spire se rendaient à la mairie de Grigny pour rencontrer des élus.
L’association souhaite alerter les élus locaux certes mais aussi donner une autre image de la ville la plus pauvre de France. « On parle toujours de la pauvreté et de la misère à Grigny. J’espère qu’avec ce genre d’initiatives on pourra mettre en lumière quelque chose de positif » conclut Roberta.
Un reportage de Jade Le Deley et Laura-Esméralda Salgon