Clichy est une des rares exceptions des Hauts-de-Seine à avoir vu la gauche, et plus particulièrement la France Insoumise s’imposer au premier tour des élections présidentielles et aux récentes élections européennes. Nous nous sommes entretenus avec Robert Crémieux, co-animateur du groupe d’action Clichy insoumise 92, qui a évoqué l’histoire politique de la ville et le retour au premier plan de la gauche qui s’y confirme. Avant de souligner le contraste avec Levallois-Perret, l’autre ville de la 5ème circonscription du 92, où la gauche peine à se faire une place.
2015. Après plus d’un siècle à gauche, la ville de Clichy a élu Rémi Muzeau, un maire d’étiquette « Divers droites ». L’arrivée de l’édile semblait alors sonner la fin des jours heureux pour la gauche dans la municipalité.
Le mois de février 2016 voit la création du parti de la France Insoumise mené par Jean-Luc Mélenchon, qui obtient 29 % des suffrages au premier tour des élections présidentielles 2017 à Clichy, à seulement 1% du futur président de la République Emmanuel Macron. Un résultat plus qu’encourageant après une année d’existence.
Rémi Muzeau, rallié à la majorité présidentielle, réussit à se maintenir après les élections municipales de 2020 et sort en tête des dernières élections départementales. Mais une nouvelle dynamique bien plus caractérisée vient marquer un retour fracassant de la gauche à Clichy : une victoire au premier tour des élections présidentielles 2022 de Jean-Luc Mélenchon avec 42 % des suffrages.
La confirmation des élections européennes ou la surprise des législatives ?
L’actualité des élections européennes a enfin levé tous doute sur cette spirale positive de la gauche à Clichy avec la sortie en tête de la candidate de la France Insoumise, Manon Aubry, avec 29% des suffrages, devant le socialiste de la liste Place publique Raphaël Glucksmann (18%) et Valérie Hayer de la majorité présidentielle (13%).
Des résultats qui ont créé une agréable surprise dans les locaux clichois de la France Insoumise. « LFI en tête des forces de gauche, mais aussi en tête de toutes les forces politiques sur la ville. Honnêtement, nous ne nous y attendions pas plus que les autres et nous pensons que la dynamique est dans le sens du nouveau front populaire. Les électeurs vont sûrement être contents de voir que nous sommes à nouveau ensemble à gauche dans la bagarre », évoque Robert Crémieux.
Pour lui, l’annonce de la création du Front populaire le 10 juin 2024 semble être une opportunité supplémentaire à saisir pour matérialiser la tendance d’une victoire de la gauche dans la 5ème circonscription des Hauts-de-Seine. « C’est plus qu’un atout, c’est une chance, c’est quelque chose qui doit nous permettre effectivement de faire un nouveau bond électoral. Je crois que s’il y a une surprise à attendre, cela peut être le nouveau front populaire dans notre circonscription mais nous l’espérons aussi au niveau national », analyse Robert Crémieux.
Une mobilisation de bénévoles en progression
Les bons scores successifs de la France Insoumise ont mis à la hausse la mobilisation de bénévoles LFI sur Clichy, notamment depuis la première place locale aux élections européennes.
Dans une ville dont la population se renouvèle rapidement (qui a un flux de départs et d’arrivées conséquent chaque année), notamment par la présence de nombreux étudiants : ce sont aujourd’hui près de 141 bénévoles qui garnissent les rangs du groupe d’action clichois et qui se sont mobilisés ces derniers jours sur les marchés, à l’ouverture des écoles, à l’entrée des supermarchés de Clichy et de Levallois-Perret.
Robert Crémieux se réjouit de la diversité qu’incarne ses effectifs « Nos adhérents sont représentatifs de la diversité sociale et générationnelle de la ville. L’image que cette diversité renvoie est en tout cas assez fidèle à ce qu’est la ville de Clichy, une ville populaire. »
Levallois-Clichy, les jumelles devenues opposées
Mais rien n’est acquis dans une circonscription qui regroupe deux communes qui disposent pratiquement de la même population (60 000 habitants pour Clichy et 64 000 pour Levallois-Perret en 2015 selon l’Insee). Et pour cause, la ville voisine levalloisienne s’ancre davantage à droite depuis une vingtaine d’années.
L’effet Balkany
Au début du siècle, les deux villes étaient constituées d’une majorité d’habitants issue de classe populaire et de plusieurs usines qui leur donnaient de nombreuses similitudes. Elles sont aujourd’hui bien différentes en raison de l’arrivée d’un homme à la tête de la municipalité de Levallois-Perret.
« L’ancrage à droite de Levallois, c’est quelque chose de récent puisqu’avant Patrick Balkany, il y avait un maire communiste. L’arrivée de la droite en 2001 à la mairie a provoqué un changement total de population. L’urbanisation prônée a sacrifié les HLM (habitation à loyer modéré) et des logements visant à attirer des couches de populations plus aisées ont été construits massivement », raconte Robert Crémieux.
La gentrification de Levallois-Perret s’exprime aujourd’hui dans des votes qui s’orientent vers la majorité présidentielle, avec des écrasants succès aux dernières législatives de 2022 (74% au second tour pour Renaissance) et aux dernières présidentielles (plus de 80% des votes pour Emmanuel Macron). Une confiance maintenue aux élections européennes 2024, où Valérie Hayer (20%) s’est hissée en tête pour Renaissance malgré une tendance nationale à la défiance envers le gouvernement en place. C’est d’ailleurs François-Xavier Bellamy, le candidat Les Républicains (LR) qui est sorti second du scrutin (19%), suivi de Jordan Bardella, 3ème pour le Rassemblement National (14%)..
Gaza, le point clivant
Dans une commune voisine de Levallois qui pèse le même nombre de votes et qu’il est donc tout aussi important d’investir, le groupe d’action LFI de Clichy est à la peine.
« Le contexte n’est pas en notre faveur, il y a une crispation à Levallois-Perret sur la question de Gaza qui perturbe la campagne », reconnaît Robert Crémieux.
La ville dispose en effet d’une des plus grandes communautés juives d’Île de France (près de 4 000 fidèles) et la prise de position claire sur le sujet de la France Insoumise n’est pas propice pour conquérir cet électorat.
« Il y a tout de même à Levallois des couches moyennes qui sont touchées par la politique du gouvernement actuel et qui ne veulent pas entendre parler de l’arrivée au pouvoir du Rassemblement National. En particulier à cause de ce point clivant, l’élection sur la circonscription n’est ni perdue ni gagnée d’avance », souligne Robert Crémieux qui se veut optimiste.
Reste à savoir si cela sera suffisant pour voir la France Insoumise et le Front populaire auquel le parti se rattache s’imposer sur cette circonscription, le 7 juillet prochain.