Par : Alice Breton, Nesrine Bouzar, Clara Moral
Le 2 septembre 2024 marque le début du procès des viols de Mazan. Chaque jour, les journalistes couvrent l’affaire et font face aux vidéos insoutenables, et aux récits des accusés, qui nient les viols. Au risque d’être impactés psychologiquement.
L’affaire des viols de Mazan, devenue la plus suivie en France depuis le procès des attentats du 13 novembre 2015, passionne les médias français et internationaux. La procédure débute le 2 septembre dernier au tribunal d’Avignon et pendant les deux mois qui suivent, des journalistes font le compte-rendu quotidien des audiences. Pendant 10 ans, Gisèle Pélicot a non seulement été droguée à son insu par son mari, Dominique Pélicot, mais aussi violée par 51 hommes, dont son propre mari. Elle a fermement exigé le retrait du huis clos pour le visionnage des vidéos enregistrées pendant les viols alors qu’elle est inconsciente. Depuis le début, l’histoire choque, dérange et questionne l’opinion publique. Le médecin du travail de l’AFP, Olivia Hicks, parle de “fascination-répulsion”, un phénomène répandu chez le public pour qui cette affaire suscite un intérêt et une curiosité morbide. La grande majorité n’a, en revanche, assisté à aucune audience et n’a donc visionné aucun des enregistrements. À l’inverse, des journalistes contraints par leur profession, qui subissent ces images. Quid de l’impact psychique pour ceux et celles qui couvrent le procès ? Car comme le souligne Olivia Hicks, “la difficulté avec le procès de Mazan c’est la répétition, à la fois des vidéos mais aussi des témoignages et des récits.”
Sans surprise, les journalistes peuvent faire l’objet d’un stress post-traumatique pendant ou après la couverture du procès. D’après Olivia Hicks, la définition d’un traumatisme s’applique tout particulièrement à cette affaire. “C’est le tout qui est choquant, c’est une situation d’exposition traumatique car on parle ici de rupture d’intégrité sexuelle” argumente-t-elle. En effet, le psychiatre spécialiste en syndrôme post-traumatique, Guillaume Hecquet, explique que “le traumatisme n’est pas l’événement en soi mais c’est l’impact qu’il va avoir sur l’individu et son système nerveux”. Car recueillir la parole d’une victime ou visualiser des images choquantes participent à la constitution de ce traumatisme, “le traumatisme vicariant”, précise Guillaume Hecquet. Ce type de traumatisme ne résulte pas de l’exposition directe et physique de l’événement en question, il s’agit d’un traumatisme indirect ou par procuration mais tout aussi violent pour celui ou celle qui le reçoit. Pour les journalistes de l’AFP chargés de couvrir le procès, il a été demandé à Olivia Hicks d’organiser une formation sur la gestion du stress post-traumatique, “signe qu’il y a une évolution dans la prise en charge de la santé mentale.” Mais tous les journalistes n’en bénéficient pas.
Des journalistes peu préparés
Juliette Campion travaille pour France Info. Elle live-tweet toutes les audiences depuis le 5 septembre, soit deux jours après le début du procès. Elle nous assure que dans l’ensemble, elle va bien. “J’ai davantage une fatigue physique, du fait du rythme du live-tweet et des comptes rendus à rédiger, plutôt qu’une fatigue psychologique. Bien sûr c’est souvent très dur et souvent abject mais j’ai essayé de me mettre en condition par rapport aux vidéos.” Si le maître-mot doit être l’anticipation selon Olivia Hicks, Juliette, elle, n’a pas suivi de préparation particulière avant de couvrir l’affaire. “Ça s’est fait comme pour un procès classique, même s’il ne l’est pas.” Avant le visionnage de la première vidéo, elle ressent de l’appréhension, les mains moites elle se demande comment raconter et traiter ces faits. Les autres images qui suivent vont se ressembler et elle se sent mieux préparée : “ce n’est pas un exercice facile mais j’ai réussi à me conditionner et à m’accrocher”.
Pour Biche, dessinateur chez Charlie Hebdo, la couverture du procès Mazan arrive juste après les trois semaines qu’il a passé à traiter le procès Peter Cherif. Le djihadiste a été condamné à la réclusion criminelle le 3 octobre dernier pour avoir été l’un des responsables de l’attentat du 7 janvier 2015. Il nous indique qu’il s’est pris “tout en pleine figure” avec cette affaire. Pour autant, pas d’inquiétude pour le dessinateur. Avec le procès Mazan, il savait ce qu’il risquait de voir, “ce sont des histoires sordides et on a l’habitude d’y être confronté.” Et si certaines images ont pu lui rester en tête, il n’en a pas rêvé la nuit à l’inverse de son expérience pendant le procès Cherif, directement lié à Charlie Hebdo.
Une prise de recul nécessaire
Les deux journalistes interrogés ont des réactions similaires quand une vidéo ou certaines images sont trop dures à regarder. Ils détournent les yeux. Seules quelques secondes suffisent à Juliette Campion pour live-tweeter quelques éléments. Idem pour Biche qui les utilise pour comparer les images à la parole des accusés : “ça me permet de voir la différence entre l’acte et ce que raconte l’accusé.” Pour la journaliste de France Info, il est important de vite effacer les images de sa mémoire. “Quand je sors de la salle d’audience, je m’emploie à discuter avec les collègues, à boire une bière avec eux si on a le temps ou à appeler quelqu’un pour me vider la tête.” Guillaume Hecquet précise que “la répétition de scènes de violences est un facteur qui va rendre la chose encore plus difficile à vivre, il faut trouver des façons de ne pas s’y exposer encore plus et éviter d’en reparler à la pause, de le répéter à ses amis, ou le soir à son conjoint.”
Pour davantage se protéger, Juliette évite d’associer la victime, présente dans la salle, à la vidéo diffusée. Son but, prendre de la distance pour minimiser l’impact de l’affaire sur sa santé mentale. Elle n’hésite pas non plus à extérioriser son émotion par les larmes, y compris pendant l’audience, une réaction saine qu’Olivia Hicks recommande de ne pas étouffer. Un réflexe que les journalistes doivent penser à prendre pour préserver leur état mental.