De la non-communication en colloque
Par Celia Coudret
Annie Ernaux, son écriture et son engagement étaient au cœur du colloque : manière de rassembler fans de l’auteur, connaisseurs de ses ouvrages, et autres curieux touchés par les sujets qu’elle aborde à travers son œuvre. L’événement montre, une fois encore, que la question de la communication elle-même se pose : elle peine encore à passer entre le public, et les intervenants censés s’adresser à lui.
Il est 10h45, le colloque est ouvert dans la salle de conférence. Une soixante de personnes, de jeunes universitaires, professeurs, chercheurs, curieux prennent place face à la scène… d’autres ont même pris un jour de congé pour assister à l’événement. Un des trois maîtres de conférences commence à lire son texte, soigneusement préparé. Les réflexions sont éclairantes, approfondies, mais il lit vite, trop vite. Une pause, un court silence permettant au public de digérer l’information, auraient été bienvenus. Mais enfin, on pouvait s’y attendre. Sauf qu’il a tellement de texte, que l’intervenant n’a plus le temps de tout lire. Son texte n’a pas été écrit pour l’oral et son temps est limité, alors il accélère. La communication est rompue. Le public décroche, certaines personnes quittent discrètement la salle. Les intervenants sont ici pour faire découvrir, transmettre et communiquer l’objet de leur étude. Pourtant, par cette lecture plus solitaire que publique, ils créent une vraie distance avec le public qui, lui, tente de suivre le flot des idées qui lui sont exposées. A trop en entendre, on n’en retient pas assez. Le ton est monocorde, le texte est plus lu que raconté et expliqué. Presqu’aucun contact n’est établi avec le public. Certaines lectures peuvent se faire sans même un mot ou un regard vers lui. Un simple trait d’humour pourrait si facilement rattraper son attention, et son intérêt. Où est donc la communication, synonyme d’échange ? Comment le public peut-il se sentir « engagé » alors qu’il est totalement exclu, et qu’on ne s’adresse même pas à lui ? Le texte des intervenants, considéré dans les circonstances qui l’ont produit (étude de l’œuvre d’Annie Ernaux) est porteur de sens, mais ne pourrait-il pas être filtré, organisé, bref préparé par le projet de parole, celui de la communication auprès d’un public qui leur fait face ? On peut se poser la question… Aussi passionnant et révélateur que peut être l’étude en question, si l’émetteur fait comme s’il n’y avait pas de récepteur, ce dernier n’en percevra presque rien. Ou en tout cas pas ceux venus par curiosité découvrir leur travail. N’est-ce pas dommage alors, de se cantonner à n’intéresser que les amis et collègues, les plus initiés en somme, et laisser à l’abandon tous les autres ? Ces colloques sont annoncés comme des « communications », sauf que trop souvent, aucune relation n’est crée avec le public. Or, s’il n’y a pas de prise en compte de l’autre (du public en l’occurrence), il n’y a pas de communication. Ce dernier ne s’est-il pas, justement, déplacé pour cela ? Autrement, il lui suffirait de lire les fameux ouvrages. Si nombre de personnes sortent avant la fin des interventions, et que personne n’a de question à poser à la fin, c’est que ce public ne s’est pas senti impliqué.
Dur de créer un lien dans les cinq dernières minutes, il aurait pu être créé dès le début, puis maintenu tout du long. S’il est tenu jusqu’au bout, alors les questions viendront bien plus naturellement. Cela pourrait aller plus loin que les quelques congratulations entre pairs, et faire oublier que la seule question posée, fut celle posée par « l’animateur » du colloque lui-même. Ce n’est pas simplement la manifestation des résultats d’une recherche qui se joue dans ce type d’intervention. Il s’agit aussi de savoir communiquer, pour contribuer au savoir collectif.