CARNET DE VOYAGE
Haïfa
Alliés et ennemis: quand Israël construit son patchwork au cœur du Moyen-Orient.
Par Anaïs Demont et Gaétan Raoul
Après un passage par le plateau du Golan, nous accostons à Haïfa, cité magnifique, sinueuse et hétéroclite à près de quarante kilomètres du Liban. C’est dans cette ville portuaire, où la présence des dockers dès le début du XXe siècle a laissé une tradition syndicale et politique, que nous rencontrons un député impliqué dans les problématiques de politique étrangère.
Ayoub Karad est un député membre du Likoud, la droite nationaliste à la Knesset. Jusque-là rien de surprenant. Mais Karad est druze, un Arabe israélien. C’est une minorité originaire du Liban, de Syrie et présente en Israël majoritairement sur le plateau du Golan. Cette population a pour particularité d’avoir sa propre religion issue de l’Islam et des cultes perses et indiens de la région au Nord d’Israël. Les Druzes rejettent la charia qui ne leurs convient pas dans la pratique d’une religion hétérodoxe. Ils prônent à ce titre un Islam modéré.
Persécutés à maintes reprises, les Druzes ont cherché la protection du gouvernement israélien avec pour contrepartie de servir au mieux le pays. C’est pour cela que cette population intègre l’armée, c’est une obligation. Certains Druzes israéliens sont influents de par leur identité, leurs connexions avec le monde arabe et les pays voisins. C’est le cas d’Ayoub Karad.
Ce nom ne vous dit peut-être rien mais ici c’est un personnage à la longue carrière politique. Après des tractations au sein de son parti, il voulait faire valoir son identité d’Arabe israélien pour obtenir un poste ministériel. De son propre aveu, il visait le ministère du tourisme, pour établir des ponts avec l’Occident. Malheureusement pour lui Yariv Levin, un autre membre du Likoud, a finalement obtenu ce maroquin dans le nouveau gouvernement formé le 14 mai.
Présent dans le précédent gouvernement Netanyahou, Ayoub Karad avait pour charge de négocier avec les gouvernements syrien et libanais. C’est donc en spécialiste du conflit syrien que Karad déplore l’inaction des gouvernements occidentaux envers ses voisins de cœur, les Druzes et les autres minorités menacés de tuerie de masse par les forces de Daesh et de Jabat Al Nosra.
Amer, son analyse du conflit syrien efface les espoirs d’une résolution rapide : «On en a encore pour dix ans d’affrontement, et ce sont les minorités qui vont en souffrir en premier. Plus de 1 000 personnes par jour sont tuées par les fondamentalistes » affirme-t-il. En avril dernier, l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) décomptait pour sa part plus de 220 000 morts dont 67 000 civils tués par les terroristes et par le régime durant la totalité du conflit commencé en 2011 [1].
A tirer les ficelles des multiples conflits actuels du Moyen et Proche-Orient, l’Iran est désigné comme leur instigateur. Le député Ayoub Karab n’aura de cesse de pointer du doigt le pays comme l’ennemi principal d’Israël mais également de l’Europe et de l’Occident.
A ses yeux, le président Hassan Rohani ne fait aucune différence avec son prédécesseur controversé, Mahmoud Ahmadinedjad dont les propos prononcés durant son mandat appelaient à « rayer Israël de la carte ». Un an seulement après les élections iraniennes, Rohani affirme qu’il est sur le chemin d’une réconciliation avec l’Occident, par le biais des accords de Lausanne. Réelle tentative d’apaisement selon l’Iran, fine opération de séduction, selon Israël pour qui le fruit porte un goût amer. Le nouveau président iranien serait pour le pays un « loup déguisé en mouton », comme l’a affirmé Benyamin Netanyahou devant les membres de l’ONU, en octobre 2013.
Ayoub Karad est intarissable : la bombe nucléaire iranienne est à son avis une réalité qu’il est nécessaire d’affronter, un enjeu sécuritaire majeur pour Israël et pour l’Europe. Nul doute pour l’ancien représentant israélien au Conseil de l’Europe que la bombe iranienne puisse atteindre le continent européen. En ce jour de Shabbat, le message du député druze aux étudiants de Gennevilliers est catégorique : les jeunes journalistes ne doivent pas baisser la garde devant le nouveau visage de l’Iran. Un message utilisé comme un leitmotiv presque trop répétitif, d’autant plus lorsque cette thématique est au centre de la rhétorique de la peur, dont Benyamin Netanyahou collecte savamment les fruits durant les élections. Alors que Bibi se réinstalle pour un quatrième mandat à la tête du gouvernement, le peuple iranien a balayé l’an passé l’irascible Ahmadinedjad, preuve que les lignes peuvent bouger là où on ne s’y attend pas. Du point de vue européen, il faudra du temps, de la patience et des preuves pour ne plus considérer l’Iran comme un ennemi mais peut-être un jour, comme un interlocuteur valable.
D’un point de vue géostratégique, bien que plusieurs pays séparent le pays chiite d’Israël, la présence de l’Iran se situe également aux frontières, puisque le Hezbollah étend son influence dans le sud du Liban. Cette région reste à ce jour un terrain de crispation et amène Israël à renforcer la sécurité frontalière depuis plusieurs mois. Le spectre iranien semble également planer au-dessus du conflit syrien, pays frontalier d’Israël.
Doit-on y voir un hasard ? Le discours d’Ayoub Karad prend une signification particulière à Haïfa, ville qui porte encore les stigmates de la guerre de 2006 contre le Liban. De la véranda de l’hôtel, nous apercevons au loin la côte libanaise, zone potentielle d’affrontements dans les mois ou les années à venir. A l’issue du déjeuner, le député druze complète la liste des menaces probables à l’encontre d’Israël, en évoquant la position ambivalente de la Russie à l’égard du pays. Le président Poutine a annoncé vouloir vendre plusieurs missiles à son homologue iranien. Haïfa, ville multiculturelle à l’influence russophone significative, devient, le temps d’un repas et d’une rencontre, un carrefour stratégique, lieu idoine pour aborder les problématiques sécuritaires d’Israël.
[1] Cf : RTBF
Photos Bernadette Pasquier