Par Clément Barbet et Lloyd Chéry
Dix années se sont écoulées depuis la publication des caricatures de Mahomet dans la presse danoise, et 10 mois après la tragédie de Charlie Hebdo. La problématique autour du dessin de presse et de sa diffusion sur internet émerge et oblige à s’interroger sur la réception et le public du web.
Je suis Charlie le message planétaire
La mobilisation sans précédent autour du slogan de Joachim Roncin, créateur du «Je suis Charlie», démontre comment une tragédie nationale a ému internationalement. Romain Badouard, maître de conférences à l’université de Cergy-Pontoise, explique la portée planétaire de ce slogan : « la formule à la première personne, qui permet de s’approprier un événement en témoignant de son émotion, ajoutée à son utilisation comme hashtag sur Twitter, a assuré sa diffusion mondiale ». Et d’ajouter : « La formule présente également une dimension «excluante», dans la mesure où elle a pu aussi être interprétée comme un soutien à la ligne éditoriale du journal, qui faisait l’objet de controverses avant les attentats »[1]. Sa massive diffusion peut également se comprendre à travers la pratique du copier-coller que permettent les réseaux sociaux. Plus généralement une image peut potentiellement être un message fort. Elle est aisément diffusable, mais difficilement compréhensible par toutes les cultures. Pour le meilleur comme pour le pire.
Le numéro des survivants entre émeutes et contestation internationale
Pour Fréderic Martel, la frontière de l’internet n’existe pas[2]. La réaction suite à la Une des survivants qui représente le prophète Mahomet en fut la preuve. La Une « Tout est pardonné » parut à 5 millions d’exemplaires fut honnis par le monde musulman. Des émeutes au Pakistan et au Niger ont entaché le deuil national rappelant les conséquences d’une diffusion planétaire. L’auteur de Smart et de Global Gay explique qu’internet dans son usage n’est pas global, mais fragmenté et territorialisé : « J’ai découvert qu’internet était fracturé en fonction des cultures, des langues et des régions »[3]. Et cette fracture, s’observent bien par l’incompréhension des unes de Charlie Hebdo qui sont massivement et mondialement diffusées pour un public qui n’est pas celui du journal. On assiste peut être une certaine uniformisation des cultures dans le village monde, mais pas à une universalisation.
Charlie et l’impensable soumission
Alors que chaque numéro est analysé et commenté médiatiquement que va devenir l’humour Charlie ? C’est au colloque international sur la liberté d’expression organisée le 21 septembre dernier que Riss, directeur de la publication de Charlie Hebdo, a réaffirmé l’esprit du journal. « Je dessine pour défendre une conception de la société, je veux d’une société laïque et pas d’une société théocratique. Je ne renoncerai pas à maintenir mon point de vue et je n’accepte pas de vivre dans une société dirigée par des lois religieuses. Ce n’est pas humilier les gens. Je ne veux pas baisser mon froc ni ma tête ».
[1] Radio vl, Romain Badouard et le “Je suis Charlie” : Network #24
[2] Fréderic MARTEL, Smart: Enquête sur les internets, Stock, Essais-Document, 2014
[3] ibid.