L’auteur de l’ouvrage Plaidoyer pour l’engagement citoyen: le regard d’un humanitaire (2019) milite pour la participation électorale grâce à son ONG “A voté”, créée l’année dernière. Entretien avec un défenseur du progrès démocratique.
Pourquoi avoir créé l’association “A voté” ?
Le projet s’est créé au lendemain du second tour des élections régionales et départementales, le 28 juin 2021, avec une singularité: être une structure autonome, apartisane, et indépendante des pouvoirs politiques. Ce type d’initiative manque en France. Notre singularité est de partir de réflexions plutôt que d’intuitions. Le travail s’est fait avec des experts comme Jean-Yves Dormagen ou Vincent Pons pour appréhender une stratégie de campagne. La question de la mal inscription électorale a conduit à nos premières mobilisations. Quant aux membres cofondateurs, ce sont des gens que j’ai croisés. Ils avaient des engagements en commun dans leurs parcours de vie, sans forcément se connaître. Avec Flore Blondel-Goupil (co-présidente, ndlr), notre idée était de les réunir.
Avez-vous cherché à impliquer majoritairement des jeunes ?
Pas vraiment. On ne pouvait pas faire l’économie de volontaires au tout début. Notre structure ne se mobilise pas seulement pour la jeunesse. Les jeunes étaient au cœur de notre première grande campagne car beaucoup d’entre eux sont mal inscrits sur les listes, mais l’association a vocation à travailler avec toutes les tranches d’âge.
Une étude de l’Institut Montaigne démontre que près de la moitié des 18-24 ans ne considèrent pas comme « très important » de vivre dans un pays gouverné démocratiquement. Cette défiance représente-t-elle un tournant vers une démocratie de l’abstention ?
Je pense que oui. Mais commenter ce chiffre revient parfois à dire que s’il n’y a pas de régime démocratique, alors c’est une dictature. Or, l’explication vient plutôt de la perte de croyance dans la démocratie. Elle est confondue avec la politique. Il y a des jeunes très mobilisés avec des temporalités différentes et des canaux de diffusion variés: vie associative, signature de pétition, mobilisation en ligne. Ils ont besoin de s’engager là où il peut y avoir de l’impact et du changement. Aujourd’hui, nos institutions n’en ont plus.
Les canaux utilisés par la jeunesse sont-ils incompris?
Le pouvoir politique ne répond plus aux modalités d’engagement des jeunes. Il y a surtout un vrai problème de représentation des citoyens dans les institutions.
Près de 7,6 millions de Français sont mal inscrits sur les listes électorales. Que propose votre ONG pour atténuer ce phénomène ?
Des campagnes de sensibilisation ont été menées pour faire connaître ce problème et proposer des outils simples à utiliser qui réunissent toutes les informations au même endroit, comme le chatbot sur Whatsapp. A présent, l’enjeu est de rendre le système d’inscription sur les listes électorales plus automatique. Notre démocratie est l’une des dernières à avoir ce problème de manque d’automatisation des bureaux de vote. Dans des pays comme le Luxembourg par exemple, le changement de bureau de vote se fait automatiquement dès que vous déménagez.
Notre procédure doit-elle donc être révisée ?
Elle est complexe et anachronique. On peut faire énormément de choses de manière automatique avec le service public. Le vote, moyen d’expression sacré de la citoyenneté, est rendu inutilement complexe. Et toutes les théories de la sociologie du vote montrent la même chose: plus il est simple de voter, plus les gens le font.
Quel regard portez-vous sur d’autres méthodes, comme le vote obligatoire ou par correspondance ?
Le vote obligatoire condamne la démocratie. C’est un mauvais outil pour ramener les gens aux urnes. Or, la démocratie doit être la plus belle promesse de liberté, individuelle et collective. Le vote par correspondance, lui, fonctionne très bien dans des pays où les électeurs en font la demande. Il a existé en France jusqu’en 1975. Pour certains, ne pas voter est aussi l’expression d’une pensée. Nous rencontrons beaucoup d’abstentionnistes convaincus de leur choix et opposés à notre système politique.
Que vous disent-ils ?
Ils ressentent un désintérêt majeur. Ils ont le sentiment que la participation au vote n’est pas la manière la plus forte de s’engager. Dans les temps qu’on vit, il est important de respecter les différentes expressions citoyennes.
Quels sont vos résultats obtenus en matière de lutte contre l’abstention jusqu’ici ?
A la clôture des inscriptions sur les listes électorales le 4 mars, le Ministère de l’Intérieur a indiqué que 2,5 millions de personnes se sont inscrites sur les listes (depuis le lancement du portail en ligne dédié aux élections début janvier, ndlr). A travers ce chiffre, il y a une part de gens qui ont été sensibilisés par notre travail. Les réseaux sociaux nous permettent aussi de nous installer via les nouveaux espaces de discussions politiques.
A titre personnel, vous êtes l’ancien secrétaire général de l’ONG “Action contre la Faim”. D’où vous vient votre engagement militant ?
L’engagement bénévole est un symbole démocratique. Pour ma part, il s’agit de participer à la démocratie contributive.
Qu’attendez vous dans les prochains mois ?
D’ici les élections présidentielles et législatives, le but est de réduire le nombre de mal-inscrits et lever les freins à la participation électorale. Continuer à s’engager, trouver de nouveaux bénévoles et partenaires. Il faut montrer que la politique permet de changer vraiment les choses, particulièrement chez les jeunes.
Propos recueillis par Rayane Beyly le 05 mars 2022.
Image : https://www.a-vote.ong/avote