Du journalisme… à la fiction ?
Par Anne Crochon et Océane Sainte-Marthe
Pour sa deuxième édition, la Maison de la Radio ouvre ses portes au grand public lors de son festival “ Médias en Seine”. Le but ? Repenser le journalisme de demain. Par la confrontation entre points de vue d’écrivains, de réalisateurs et journalistes, les médias ont mené la réflexion sur la retranscription du réel.
Utiliser la fiction pour mieux comprendre le réel. C’est le pari que font certains journalistes, parmi lesquels Eric Fottorino, fondateur du Un, ou encore Isabelle Roberts, présidente des Jours. Tous deux insistent sur la nécessité de ralentir pour mieux comprendre notre monde.
Dans le Un, Eric Fottorino fait appel aux écrivains pour approfondir la réflexion sur un sujet précis de l’actualité. « Les écrivains vont ouvrir sur le réel une fenêtre que le journaliste ne pourra pas ouvrir » explique-t-il. Le journaliste considère que le lecteur est souvent noyé sous l’information et que « la vitesse fait perdre connaissance ». Utiliser le point de vue des écrivains permet de répondre à une exigence de profondeur. D’ailleurs, certains auteurs comme Marie Darrieussecq, considèrent qu’« on ne peut pas écrire en dehors du monde, que ça n’aurait pas de sens ». La fiction s’inspire de la réalité, seulement les journalistes sont dans l’instantané alors que les écrivains travaillent sur le temps long.
La fiction permet d’expliquer davantage le réel, notamment des sujets longs ou complexes comme le Brexit. Isabelle Roberts crée des séries qui racontent l’actualité : plusieurs épisodes, plusieurs personnages. « Pour une série complète, nous mettons environ six mois » explique-t-elle. Le format choisi « redonne de la mémoire à l’actualité » car un événement a une suite, et un contexte. En entrant dans une série, le lecteur entre dans un univers et cette singularité est essentielle car elle permet de mieux comprendre notre monde.
Le journalisme de fiction, un piège ?
Dans certains cas l’actualité est juste un déclencheur, un prétexte pour écrire quelque chose de plus grand. Quand l’article du journaliste est soumis à l’exactitude, le roman devient une sublimation de la réalité. La fiction permet de s’émanciper de la morale pour gagner en liberté : « on peut décimer un régiment entier sans hémoglobine par exemple » rappelle Fatou Dioume, autrice des Veilleurs de Sangomar en souriant.
Le recul qu’offre l’écriture d’un roman peut aussi s’avérer dangereux puisqu’il peut laisser place à la subjectivité. A ce moment-là l’auteur ne raconte plus le réel mais sa réalité, en fonction de son vécu et de sa situation : « mon ressenti devient ma réalité » résume Fatou Dioume.
Un journalisme de fiction peut s’avérer dangereux pour les lecteurs qui voient la frontière fiction et réalité brouillée et ne savent plus comment exercer leur subjectivité. Comme l’explique Cédric Klapisch, réalisateur de Deux moi, “Si je projette un film dans une salle de 500 personnes. Elles auront vu 500 films différents”. Or les faits journalistiques laissent que peu de place à l’interprétation.
Finalement, le journalisme fiction peut être utilisé pour redynamiser l’actualité, et lui redonner un intérêt. Une forme intéressante, à utiliser avec précaution…