Le mensonge, spécialité étatique ?
Dans une société connaissant une transformation profonde aussi bien dans la consommation que dans l’assimilation de l’information, il serait facile de croire que c’est à l’État de s’afficher en dernier rempart de la vérité et de la transparence absolue. La froide réalité des faits prouve le contraire.
Pour sa deuxième édition, le festival Médias en Seine, organisé conjointement par France Info et Les Échos, mettait l’accent sur la grande question des fake-news. Divers spécialistes étaient ainsi amenés à s’exprimer sur le sujet. De ces échanges ressort la constatation remarquable que, dans de nombreux cas, c’est l’État lui-même qui désinforme.
L’institutionnalisation du mensonge
Ce n’est pas nouveau à l’échelle de l’Histoire. Mais l’entrée dans le XXIe siècle n’a en rien diminué l’ampleur de ce problème. Respectivement président du Harper’s Magazine et ancien président de Médecins sans frontières, John Rick McArthur et Rony Brauman étaient invités à témoigner à propos des « intox » dans le domaine militaire.
Unanimes sur le sujet, ils évoquent une utilisation constante du mensonge dans la justification publique des conflits des trente dernières années. Du témoignage factice devant le Congrès des États-Unis d’une supposée réfugiée koweitienne, en fait la nièce de l’ambassadeur, aux images détournées d’atrocités commises en Libye en 2011 en passant par les armes chimiques de Saddam Hussein en 2003, tout est bon pour retourner l’opinion publique, qui, choquée, finit par réclamer la guerre.
Brauman cite à ce titre Valeri Guérassimov, chef des forces armées russes qui, pour justifier la propagande russe après l’invasion de la Crimée, émettait le constat que « dans un conflit, les moyens non-militaires se révèlent souvent plus efficaces que l’usage de la force ».
Des médias qui ne remplissent pas leur rôle
Malgré l’affirmation de Melissa Bell, correspondante de CNN à Paris, pour qui « l’afflux d’informations entraîne des vérifications de plus en plus poussées de la part des grandes chaînes », force est de constater que la vérification des informations distillées par ces gouvernements belliqueux n’a, à l’époque, jamais été effectuée.
Que ce soit en France ou aux États-Unis, Rony Brauman pense que les médias et l’opinion ont agi en « coopération passive » avec les gouvernements. John Rick McArthur complète son propos en donnant l’exemple du New York Times et de sa campagne appuyée en faveur d’une intervention en Irak en 2003. Pour lui, « les médias entretenaient et encourageaient cette atmosphère de guerre. Et comme les gens voulaient croire ce qui était raconté, personne n’a vérifié les dires des autorités ».
Une mécanique difficile à enrayer
Aujourd’hui, Donald Trump, plus célèbre adepte du « plus c’est gros, plus ça passe’’, profite de la crise de la presse américaine pour propager impunément ces alternative facts (faits alternatifs) qui, pour l’historien Thomas Snégaroff, « nourrissent les certitudes de ceux qui les reçoivent ». L’impact sur la démocratie est alors réel, ce qui rend le travail de vérification « plus nécessaire que jamais » selon Mélissa Bell.
Alors, à l’heure de la crise de confiance, comment lutter contre ces mensonges ? Présidente de France Média Monde, Marie-Christine Saragosse prône un fact-checking renforcé, là où John R.
McArthur pense que « les journalistes et les citoyens n’ont pas les moyens de lutter contre ces fake-news ». Une note pessimiste qu’il tient tout de même à tempérer, en invitant l’opinion à « chercher la vérité soi-même, sans tenir compte des motivations cachées des politiques ». Thomas Snégaroff partage cet avis, mais relève que, désormais, « les fake-news dépassent la propagande, car nous en venons même à douter de ce qui est vrai. Et c’est ça le triomphe de Donald Trump ».