Aujourd’hui journaliste à Actu Orléans, Noé Davenas se souvient de la couverture de ses premiers faits divers lors de son alternance à l’Ardennais. Qu’ils soient apprentis ou confirmés, les faits-diversiers, tels qu’on les surnomme dans le milieu journalistique, sont certes prêts à couvrir l’horreur mais bien moins armés face aux retombées psychologiques de leur métier.
A l’écoute du témoignage de Noé Davenas, un jeune journaliste fraîchement lancé dans son premier contrat professionnel, difficile de ne pas remarquer une certaine amertume dans ses paroles. L’équilibre entre l’envie d’informer et celle de se protéger est difficile à trouver.
Noé se souvient de son arrivée à la rédaction de L’Ardennais, en septembre 2023, et des premiers faits divers qu’il avait dû couvrir. Très peu expérimenté, il se retrouve rapidement confronté à cet exercice normalement confié aux journalistes spécialisés. “Quand tout le monde avait la tête sous l’eau, on prenait le petit alternant de service et puis on lui faisait faire des faits divers.”
Affaire Loana, la goutte d’eau qui fait déborder le vase
C’est son désir profond de pratiquer un journalisme de terrain qui a poussé Noé à s’emparer de ses premiers faits divers. Peu de temps après son arrivée, une sombre affaire frappe les Ardennes.“Ça faisait à peine deux ou trois mois que j’étais là, qu’on apprenait l’assassinat à Sedan de Loana, une petite fille de 8 ans tuée par un homme suspecté de l’avoir violée”, relate-t-il.
La violence des faits marque profondément la région et ses journalistes, confirmés et alternants. Noé se souvient d’une “très bonne journaliste avec trente ans de métier”, revenue à la rédaction après couverture de l’affaire, arborant “un masque émotionnel sur son visage”. Un souvenir indélébile d’autant plus que celle-ci surmonte habituellement ce genre de cas en faisant “beaucoup de vannes sordides auxquelles tout le monde rit”.
Ce jour-là, c’est Noé qui avait pris l’appel lorsque l’affaire était remontée à la rédaction. “Quand tu rentres d’un sujet comme ça, ta seule envie, c’est d’aller prendre une bonne grosse douche chez toi, de prendre un cachet et t’endormir au plus vite”, confie-t-il.
De retour à Paris pour reprendre ses cours et “couper avec le travail”, alors qu’il prend un verre avec ses amis un soir, le jeune homme s’effondre. C’est en partie l’importante maîtrise de soi que requiert la pratique du journalisme qui a poussé Noé dans ses retranchements. “J’ai attendu pour vraiment extérioriser, je pense que c’était pour faire un peu le gars un peu solide devant la rédac”, confesse-t-il. Que ce soit à L’Ardennais ou dans beaucoup d’autres journaux, la mise en place de cellules de crises ou d’une véritable écoute peine encore à émerger. “On n’a pas trop le temps de se poser, parce que plus tu prends du temps à te poser des questions, moins tu es sur le terrain.”
Rester humain dans les moments difficiles
Noé revient avec émotion sur un autre fait divers ayant marqué son apprentissage chez L’Ardennais. “On a appris un vendredi soir, très tard, qu’il y a quatre jeunes de Charleville qui ont eu un accident assez grave du côté de Couvent, en Belgique et on apprend, en fait le lendemain matin que trois de ces jeunes sont décédés, le quatrième est dans le coma”, relate-t-il en ajoutant que les victimes étaient issues du quartier de la Ronde Couture où habite également le jeune journaliste.
Habitant lui-même dans le quartier de Charleville où ont grandi les victimes, se rend sur place pour interroger le voisinage et se voit convié à la soirée en hommage aux jeunes décédés. “Je ne me sentais pas du tout à ma place, mais une femme m’attrape alors par le bras et elle me dit « monsieur dans ces moments là tout le monde est ensemble donc je vous prie d’aller vous asseoir »”
Ému en se remémorant la scène, Noé ajoute “Je me suis retrouvé assis avec des gens que je ne connaissais ni d’Adam ni d’Eve. Ce jour-là, je me suis rendu compte qu’il faut apprendre à partager sa peine. Tu ne peux pas toujours rester froid, il faut aussi que tu comprennes et si pour comprendre il faut que tu partages un couscous avec eux, bah t’y vas quoi”. Une expérience qui, en dépit des tristes circonstances, lui aura redonné foi en l’humain et dans la nécessité de son métier.