Par Anne Crochon et Christelle Crouet
« La chance de ce format, c’est le temps » raconte Rémy Buisine avant d’ajouter « Je sais quand j’appuie sur play, je ne sais pas quand j’arrête ». Pourquoi le temps semble si important ? La recherche du scoop ou encore les chaînes d’informations en continu ont permis à la rapidité de devenir une véritable qualité journalistique. En tant que spectateurs, nous devons avoir accès à l’information directement et le plus rapidement possible. Avec un format comme le live, diffusé sur les réseaux sociaux, Rémy Buisine a la possibilité de ne plus regarder sa montre lors d’une interview. « On est dans l’échange permanent » explique-t-il, avant de dire « le format live permet à certains de se sentir plus en confiance ». L’avantage du live, en effet, c’est qu’il n’y a ni montage, ni coupe.
Le live permet “ d’aller vers des gens qui n’ont pas l’habitude de parler”
Le format live a séduit les Gilets jaunes : les images de violences passées en boucle sur BFMTV ou CNEWS étaient considérées comme non représentatives de la réalité. Pendant plusieurs semaines, les agressions policières ont été minimisées, contrairement à celles provenant de casseurs. Rémy Buisine analyse la colère des Gilets jaunes de la manière suivante : « Les personnes qui commentaient les événements sur le terrain, ce n’était pas des journalistes qui étaient sur le terrain. C’était souvent des éditorialistes en plateau. » Loin de critiquer les chaînes d’information en continu, le journaliste de Brut considère que « les médias sont complémentaires », mais son travail lui a permis « d’aller vers des gens qui n’ont pas l’habitude de parler ». Cela a rendu visible l’aspect humain des manifestations. Dans le cas des Gilets jaunes, il fallait comprendre pourquoi des personnes qui n’avaient jamais manifesté se retrouvaient au sein de cette manifestation. Enfin, le format live diffusé sur Facebook, lui permet d’être en interaction directe avec sa communauté. Il y a de la proximité, Rémy Buisine en rit, car certaines personnes le croisent dans une manifestation et le tutoie directement. Les échanges en temps réel lui permettent d’être au plus proche des attentes des gens et de créer un lien avec eux. Cependant, le journaliste nuance « il faut savoir écouter notre communauté, mais aussi savoir s’en détacher ». Le but reste d’informer en direct les personnes de l’autre côté de l’écran.
Nouveau format, nouvelles difficultés
Si le live permet d’avoir une immédiateté de l’information sans montage souvent dénoncé dans le cadre de mouvements sociaux comme celui des Gilets Jaunes, il comporte une contrainte : la régulation. Rémy Buisine explique « défendre la liberté d’expression c’est hyper important, mais la frontière ce sont des propos qui pourraient blesser l’autre ». Il faut donc permettre aux personnes interviewées de s’exprimer tout en gardant en tête qu’il faudra potentiellement arrêter l’interview à tout moment s’il y a débordement, insultes, menaces, etc. Le journaliste en live doit faire preuve d’une réelle rigueur ce qui peut parfois s’avérer complexe « sur le moment on arrive à pouvoir régler ça, mais ça demande une capacité de réaction qui doit être très rapide et très stricte dans la façon de répondre, si l’interview s’arrête là c’est qu’il y a vraiment une raison ». Rémy Buisine joue les funambules, sans harnais de sécurité, à chaque direct il risque la chute, le propos ou le geste de trop qu’il ne pourra pas contrôler.
Le journaliste de Brut affirme qu’il existe une autre contrainte majeure, celle de la contextualisation, « toutes les cinq à dix minutes on contextualise car on sait qu’on a une durée d’écoute inférieure à la télévision donc c’est important ». Sur les réseaux sociaux l’attention des spectateurs est très volatile, il faut donc être en capacité de réexpliquer sans cesse la situation pour les nouveaux arrivants.
Le live a également dû faire face à une autre difficulté, celle de la légitimité. Si aujourd’hui de nombreuses rédactions ont opté pour l’utilisation du téléphone portable bien plus pratique pour filmer lors des tournages, il y a encore quelques années ceux qui l’utilisaient étaient minoritaires et parfois méprisés par leurs collègues journalistes. Ce fut le cas pour Rémy Buisine. Chez les journalistes les plus anciens, il semblait inconcevable que l’utilisation d’un téléphone portable puisse permettre une image de qualité. Si c’était le cas il y a encore cinq ou six ans, cette critique semble obsolète pour les nouvelles générations de smartphone.
Plus de liberté, malgré les contraintes, et une plus grande implication de soi pour le journaliste, le live semble offrir au journalisme un souffle nouveau au moment même où celui-ci vit une de ses plus importantes crises de confiance.