spécialiste du négationnisme
Par Victoria Laurent et Alev Yildiz
Historienne française, spécialiste du négationnisme et de l’extrême droite en France, Valérie Igounet a rencontré et échangé avec les étudiants du master journalisme de Gennevilliers, vendredi 8 janvier. Au programme : l’évolution du discours négationniste, ses porteurs et les controverses qui l’entourent.
Son travail, elle l’a commencé à l’âge de 21 ans, à travers des entretiens avec des figures du négationnisme français. Des interlocuteurs souvent pas si honnêtes que ça. « J’avais en face de moi des gens qui n’assumaient pas et qui mentaient. J’étais face à une question éthique : comment utiliser une source orale avec des propos qui, par essence, sont mensongers, et qui sont totalement éloignés de mes conceptions ? » nous a-t-elle expliqué. De Pierre Vidal-Naquet, auteur des Assassins de la mémoire, à Maurice Bardèche, en passant par Robert Brasillach, Louis Alliot, Jean-Claude Pressac, Robert Faurrisson et Jean-Marie Le Pen, la liste est longue. Tous ces hommes, elle les a rencontrés et les a interrogés avec un regard critique mais passionné. Valérie Igounet situe l’apparition du discours négationniste – selon lequel le génocide des juifs n’aurait jamais existé – en 1948, année de la création de l’Etat d’Israël. « Pour moi, c’était évident que ces gens mentaient. Mais ce qui m’a troublé, c’était que des hommes d’ultra-gauche s’y mettaient aussi » a-t-elle raconté.
Ceux qui se disent révisionnistes ont tous un point commun selon l’historienne : il s’agit « d’hommes des extrêmes, avides de notoriété. Ce sont des idéologues, des pseudos chercheurs, mais en n’aucun cas des historiens ». Valérie Igounet dénonce leur démarche, qui est toute à fait opposée à celle des historiens : « ils ne font pas parler les documents, ils partent d’un postulat et surtout, ils sont convaincus qu’ils ont raison. Ils ont aussi un discours idéologique et politique. Or, pour être objectif et juste en tant qu’historien, il faut se confronter à une masse documentaire et en rendre compte. ». Le premier à faire valoir cette idéologie en France est Paul Rassinier. Ancien déporté dans un camp où il n’y avait pas de chambres à gaz, il publie en 1960 un ouvrage niant le génocide, intitulé Le mensonge du vice. « Il a contribué à instrumentaliser le discours. En tant qu’ex-homme de gauche et ancien déporté, il était la figure idéale pour porter ce courant dans notre pays » a-t-elle estimé.
Valérie Igounet a détaillé aux étudiants du master plusieurs événements dans l’histoire d’Israël qui ont marqué une progression de la théorie négationniste. La guerre des Six jours en 1967 marque le premier tournant discursif dans cette idéologie. Selon l’experte, à cette date, « l’antisionisme » va supplanter la « haine de l’arabe ». Par nécessité dogmatique et idéologique, les négationnistes vont se mettre à soutenir l’Etat de Palestine. « C’est ce même discours que vont aujourd’hui soutenir Dieudonné M’bala M’bala et Alain Soral » a-t-elle précisé.
Le tract fondateur du négationnisme en France
« Six millions de morts, le sont-ils réellement ? ». Ainsi s’intitule l’une des « Bibles » du négationnisme sortie en Grande-Bretagne en 1973 au moment de la guerre du Kippour. Il s’agit en fait d’un fascicule qui a été diffusé par François Duprat, numéro 2 du Front National. Autre article qui a contribué à introduire le négationnisme en France, « Le problème des chambres à gaz ou la rumeur d’Auschwitz », rédigé par Robert Faurisson et publié dans Le Monde. « Le Monde a décidé de publier cela en montrant que les thèses allaient se contrecarrer d’elles-mêmes. Il y avait une certaine noblesse dans le projet du journal, mais malheureusement, ça n’a pas fonctionné », a ajouté Valérie Igounet.
Les principales revues négationnistes sont des revues qui ont fonctionné, et qui ont été diffusées soit sous le manteau, soit dans les librairies d’extrême droite, soit par le biais d’abonnements. L’ouvrage de Roger Garaudy, Les mythes fondateurs de la politique israélienne, a transporté le négationnisme au sein du monde arabe. Des pages que Valérie Igounet qualifie « d’indigestes ». Mais ces pages ont abouti dans les années 2000 à une internationalisation du négationnisme. S’il avait déjà commencé à se répandre, il n’y avait pas vraiment d’écho sérieux. En 2006, l’historienne nous apprend qu’un « véritable tournant » a lieu lors de l’organisation d’une conférence en Iran. C’était la « première fois dans l’histoire que des professionnels négationnistes étaient accueillis en grande pompe dans des locaux officiels ». En somme, la concrétisation d’un négationnisme d’Etat par un gouvernement.
Le négationnisme contemporain
Valérie Igounet pense que cette théorie est encore plus ou moins répandue au sein de certains pays arabes et aussi dans d’autres pays comme la France. En décembre 2008, lorsque Dieudonné invite Robert Faurisson sur la scène du Zénith lors de l’un de ses spectacles, elle considère qu’il « s’allie ouvertement avec lui ». Alors que l’humoriste s’était présenté aux législatives à Dreux en 1997 contre le Front National en tant qu’antiraciste, il aurait ensuite « dérivé » et « commencé à s’acoquiner avec l’extrême-droite ». Dieudonné a ensuite affiché son soutien à la Palestine en se présentant sur une liste appelée EuroPalestine, qui a atteint plus de 10% dans certaines villes.
Concernant le discours du Front National, Valérie Igounet évoque une « mutation » entre l’époque où Jean-Marine Le Pen présidait le parti et l’époque actuelle, notamment sur la question du conflit israëlo-palestinien. « Le logiciel frontiste était en train de changer via les discours de Dieudonné et d’Alain Soral », dit-elle, tout en constatant que lorsque Marine Le Pen s’est « imposée idéologiquement et a imposé ses marqueurs, il y a eu une évolution au sein du FN ». En 2012, les négationnistes ne sont plus du tout acceptés au sein du parti « car la présidente a changé ». Ainsi, Valérie Igounet démontre que le négationnisme est instrumentalisé à des fins politiques.
Les étudiants du master avaient visionné au préalable son documentaire « Les Faussaires de l’histoire » qu’elle a co-écrit avec le réalisateur Michael Prazan. Après avoir répondu de façon détaillée à leurs questions, Valérie Igounet clame : « Selon moi, quand on a fini de le regarder, j’espère que l’on n’a plus aucun doute, que l’on a même une aversion et surtout que l’on voit où ces personnes ont voulu en venir. Il a une portée politique et pédagogique ».