Par Ivan Rakotovao
« Je ne me considère pas comme un journaliste de guerre » affirme Sylvain Lepetit sans ciller. Ce baroudeur d’une trentaine d’années est pourtant un habitué des zones de conflit. Syrie, Irak, Yemen, diplômé de Sciences Po Paris, il a couvert les guerres de ces dernières années au Moyen-Orient.
La peur comme moteur
Sylvain Lepetit est-il une tête brûlée ? On est en droit de se poser la question en voyant ses images spectaculaires tournées sur le front de Mossoul ou dans les rues de Sanaa bombardées par l’aviation saoudienne. Sur le terrain, chacun gère sa peur différemment. Il y a ceux paralysés par la peur. Il y a ceux qui viennent pour l’adrénaline […] Pour moi, la peur m’aide à rester concentré
analyse-t-il. Le journaliste a su dompter sa peur. Il l’a incorporée à un subtil mélange de prudence et d’audace qu’il met à profit pour ramener des images exceptionnelles. Comme cette fois où il est parti à la rencontre de Talibans en se faisant passer pour un journaliste pakistanais. Cette prise de risque lui a valu le prix Albert Londres 2014 *(pour le reportage : « La guerre de la polio »).
L’argent : nerf de la guerre
Malgré les risques, les reportages en zone de conflit sont mal payés. En cause, les rédactions qui sont soumises à la pression de l’audimat. Les sujets légers réalisés en France font plus d’audience que les enquêtes au long court tournées à l’autre bout du monde. D’où la nécessité pour Sylvain Lepetit de consacrer du temps aux reportages « feel good » (positifs) qui sont plus faciles à réaliser et plus rentables. Il s’est notamment intéressé à la Fashion Week de Bagdad et le Street art au Yemen : des sujets à fort potentiel d’audience, bons pour l’équilibre de ses finances et pour l’image du Moyen-Orient souvent réduite à la guerre et au chaos.
Un journaliste multitâche
Afin de gagner en liberté, le journaliste a créé sa propre société de production. Elle lui donne plus de latitude sur le choix des sujets qu’il souhaite traiter et sur les montants des budgets alloués. Cependant, elle l’oblige aussi à souvent délaisser sa casquette de journaliste pour celle de gestionnaire. Implantée à Dubaï, sa société bénéficie d’une fiscalité avantageuse et d’obligations administratives allégées. Toutefois, le coût de la vie exorbitant dans l’Émirat le contraint à une gestion rigoureuse de ses comptes. Restrictions budgétaires oblige, Sylvain Lepetit écrit, filme et monte lui-même ses reportages. Avec l’accumulation des tâches qui s’ajoutent à la pression sur le terrain, la vie d’un journaliste au Moyen-Orient peut vite devenir infernale. C’est là qu’on mesure l’importance d’avoir une base arrière dans un endroit sûr. Sylvain Lepetit a choisi Dubaï et Beyrouth. Des villes où il fait bon vivre et qui lui « permettent de décompresser et d’avoir une vie normale ».
Prix Albert Londres 2014 – L’Express
https://twitter.com/sylvainlepetit