Comment exister dans un monde médiatique où les plateformes traditionnelles les plus installées sont souvent détenus par des milliardaires ayant droit de regard sur les sujets traités, et la manière dont il le sont ? Dans le contexte actuel, les médias indépendants doivent souvent faire face à de nombreux obstacles, surtout en terme de visibilité et de financement. Mais lorsqu’en plus d’être un petit média indépendant, on revendique une identité minoritaire et marginale, la situation se complexifie.
XY Média : transidentité et féminisme
C’est dans cette situation que se place XY Média, le premier média transféminisme audiovisuel de France. Il a été créé en 2021, et résulte d’un besoin de visibilité des personnes transgenres et de leur communauté. Carol Sibony, cofondatrice, explique « En France, des 150 articles qui sont parus en 2020 autour des questions liées à la transidentité, aucun n’avait été écrit par une personne concernée, ce qui est tragique. » Le média a pour but de porter et de visibiliser des individus et leur parole encore trop peu écoutée, sur des sujets qui les concernent directement. Pour rappel, une personne transgenre est une personne dont l’identité de genre n’est pas en adéquation avec le sexe assigné à sa naissance.
Au sein de l’équipe, des journalistes, des militant.e.s, des cinéastes et vidéastes, des ingénieur.e.s sons, des musicien.ne.s, tous et toutes concerné.e.s par les questions de transidentité. Comme les membres l‘expliquent : « Nous ne sommes pas tous.tes journalistes, nous avons pas de cartes de presse mais nous sommes pour la plupart engagé-es dans les luttes transféministes. Le média est un outil de lutte pour la libération de la communauté trans, historiquement opprimée ». Une lutte qui passe notamment par la production de contenus sur des sujets concernant la communauté transgenre. Par exemple, comme l’explique Carol Sibony : « On a sorti un reportage sur les dangers de la silicone liquide pour les femmes trans. Et c’est un reportage sur un sujet absolument inconnu de grand public et jamais abordé sur les médias généralistes, en particulier en France. »
Une visibilité à double tranchant
Depuis quelques années voire quelques décennies, l’on parle de plus en plus des questions LGBTQ, et notamment du “T” de cet acronyme : les personnes transgenres. Les mœurs évoluent et les paroles se libèrent. Malheureusement,cela amène aussi des problèmes. Carol Sibony explique : « On est dans une situation où la visibilité pour les personnes trans augmente, mais c’est une visibilité à double tranchant car elle amène une violence qui se démultiplie, particulièrement tournée vers les femmes trans». Car être visible, c’est devenir une cible plus facile à atteindre. L’invisibilisation d’une communauté garantit sa sécurité, mais empêche aussi de discuter des difficultés auxquelles ladite communauté fait face. Lutter pour ses droits, c’est se mettre en danger. Les personnes transgenres font partie des nouveaux boucs émissaires de l’extrême droite, voire même de la droite tout court.
Pour donner un exemple, en décembre 2021, le Sénat a approuvé un projet de loi visant à interdire les thérapie de conversion visant à « guérir » des individus de leur homosexualité ou de leur transidentité. Ces « thérapies » seraient aussi inutiles que traumatisantes selon ceux et celles qui militent pour leur interdiction. Au scrutin concernant cette proposition de loi, 305 ont voté pour, et 28 contre. Dans ceux s’y opposant, une majorité de sénateurs du parti Les Républicains. La loi a pu être mise en place, mais elle était réclamée depuis déjà plusieurs années voire décennies, et une partie de la droite y était opposée. Et il faut aussi noter qu’il s’agit d’un sujet qui a été au centre de beaucoup de débats.« Le sujet et les cibles [ de la droite et l’extrême droite ] avant c’était le mariage pour tous, maintenant on vise les trans et on légitime cette violence dans des discours politiques en normalisant la transphobie », analyse Carol.
Lutter contre l’extrême droite montante
L’un des objectifs du média est donc de porter la parole des personnes transgenres. Mais étant donné le contexte politique du pays, il s’agit aussi de porter un discours politique s’opposant à celui, montant, de l’extrême droite. La logique derrière cet engagement est simple : les personnes transgenres font parties des cibles de l’extrême droite, « des pyromanes fascistes comme Eric Zemmour qui essayent de monter au pouvoir », ajoute Carol Sibony.
La création de XY Média est aussi une réaction au discours de haine transphobes, surtout dans un contexte où certains qualifient le climat politique en France de « fascisant ». C’est ici un moyen de mettre en place un espace d’expression d’un contre-discours « Il faut créer une présence médiatique pour répondre à ce discours de haine que certains tentent de normaliser, explique Carol Sidony, et c’est un aussi moyen de lutter contre une inondation sur les réseaux de contenus d’extrême droite. Par exemple le « média » Livre Noir, financé par des mécènes proche de Zemmour ou Marion maréchal Le Pen produisent des contenus encourageant ces discours de haine envers certaines parts de la populations. ». Ce média publie très souvent sur ses plateformes des “enquêtes” et des articles sur le “wokisme” ou encore la théorie d’extrême droite du “grand remplacement”.
Topo sur la situation
A propos d’Eric Zemmour, ce dernier n’en ai pas à sa première attaque envers les personnes transgenres, et plus généralement, la communauté LGBTQ. En mai 2021, sur Cnews, il avait déclaré « Quotidien fait une émission à la gloire d’une gamine de 8 ans, Lily, qui dit qu’elle veut être un garçon ! Mais ce sont les expériences du Dr. Mengele ! ». Durant son meeting de décembre 2021 à Villepinte, il a bien précisé qu’il comptait bien continuer sur cette voix : « Nous chasserons de nos écoles le pédagogisme, l’islamogauchisme et l’idéologie LGBT ! ».
Des déclarations ni pertinentes, ni rassurantes pour conclure une année qui fut par ailleurs très meurtrières pour les personnes transgenres. En 2021 dans le monde, au moins 375 personnes trans ont été assassinées, recense le projet TvT. Soit 7% de plus qu’en 2020. Le projet TvT, Transrespect versus Transphobia Worldwild est un projet créé en 2005 qui s’est donné pour mission de recueillir des données et de construire des recherches concernant les personnes transgenres et leurs situations à travers le monde.
Si les données n’existent pas dans un domaine ou champ d’étude, le projet souhaite mener des recherches afin d’y remédier.
Trans, mais pas que
XY Média se définit comme le premier média audiovisuel transféminisme de France, et revendique cette identité particulière. Il permet de légitimer la parole des membres de la rédaction quand elle aborde ces sujets.
Néanmoins, la ligne éditoriale est claire : le média ne veut pas se limiter aux sujets et questions concernant la transidentité, le féminisme, et l’alliance des deux. « On ne se cantonne pas. Mais on est avant tout un média fait uniquement de personne trans, donc on parle de ce qui nous concerne. Il ne s’agit pas de parler que des personnes trans, mais le fait est, que c’est avec notre perspective, qui est matériellement spécifique. » développe Carol. En janvier 2022 par exemple, XY média a publié sur son site un long article analysant différents modèles économiques, plus particulièrement le capitalisme et le trotskysme, et leurs conséquences sur la question de la transidentité.
La rédaction propose finalement un regard nouveau et spécifique sur l’actualité et les problèmes sociétaux. Tout comme une personne racisée ne vivra pas les mêmes expériences qu’une personne blanche, les personnes transgenres ont un regard propre à apporter. Un regard qui peut permettre de mieux comprendre des problématiques spécifiques à cette communauté.
Offrir ce regard à travers XY Média a aussi pour enjeu d’atteindre un public au-delà de la sphère LGBTQ+. Les contenus sont autant d’occasion d’éduquer la population dans son ensemble, à apprendre plus sur des sujets encore très peu repris dans les médias plus traditionnels.
Mais quand un média revendique son indépendance, ainsi qu’une identité aussi marquée, se pose alors le la question de son existence en tant que tel, notamment au niveau financier.
Exister en tant que média indépendant
Dans le schéma des médias actuels, cela paraît compliqué d’être à la fois un média indépendant et formé d’individus de communautés. Comme l’explique Carol Sidony : « La position qu’on essaye d’occuper est un peu délicate, parce qu’aujourd’hui la majorité des médias sont détenus par des milliardaires. C’est difficile d’avoir une plateforme qui soit pérenne face à cette nuée de médias ».
Néanmoins, l’équipe de XY Média est plutôt enthousiaste : le média fonctionne bien pour le moment.
Le nerf de la guerre
Le projet XY Média a vu ses débuts en juin 2021, durant une compagne de don sur le site HelloAsso, une plateforme de financement de projet. Cette campagne a « cartonné » se réjouit Carol, et a permis à la rédaction d’avoir assez de fond pour fonctionner au moins un ou deux ans. « Il s’agit maintenant de créer un réseau de confiance avec des gens qui vont nous donner plus régulièrement par le biais de notre HelloAsso. Le but est d’avoir un terme des dons réguliers. » poursuit Carol.
Le média compte aussi sur des subventions pour débloquer plus de moyens. Il est par exemple subventionné par Ilga Europe, une ONG qui rémunère des projets liés aux questions LGBTQ. A l’image de cette ONG, la rédaction de XY Média recherche des subventions au niveau européen. Elle compte aussi faire appel à Transfund, une association internationale qui subventionne les projets de personnes transgenres. Pour le moment, ce système fonctionne et le média se rapproche doucement de la stabilité financière qui permettra d’envisager de nouveaux projets. Mais quoi qu ‘il arrive, la rédaction tient à garder ses productions et contenus gratuits pour le public, car, comme l’explique Carol : « On a besoin qu’ils restent accessibles et gratuits, notamment car les personnes qu’on souhaite atteindre sont celles qui peuvent être sujettes aux violences qu’on dénonce. »
Une question de survie
De la création de XY Média à la recherche de sa stabilisation, notamment financière, tout est une question de survie. La survie des personnes transgenres, notamment les plus précarisées par le climat politique actuel : les migrant.e.s, les exilé.e.s, les précaires économiques… Mais pas que. Il s’agit aussi de la survie de la liberté de le presse, d’une parole combattant les discours de haine de l’extrême droite, des médias indépendants. XY Média envisage son existence comme un combat pour la reconnaissance de la parole des personnes transgenres, ainsi qu’une parole antifasciste. Un travail à la fois journalistique et militant et même pédagogique, car comme l’explique Carol Sibony : « Sur nos vidéos produites, certaines ont déjà été repartagées par des associations, rediffusées dans cadre de conférence, de festivals…Pour nous c’est vraiment énorme. »