ZON’ART : C’est aussi leurs années
Par Anaïs Demont
La troupe de théâtre Zon’art a choisi de mettre en scène son roman, Les Années. Interprétée par près de 35 comédiens, amateurs ou confirmés, tous âgés d’une vingtaine d’années et presque tous étudiants en Lettres modernes, la pièce était jouée au Théâtre 95 de Cergy, en présence de l’auteure.
Les Années : une mémoire collective et individuelle
Les Années s’insère dans la catégorie des œuvres autobiographiques de l’auteure. Paru en 2008, ce roman, ou plutôt, journal de souvenirs, parcourt près de soixante dix ans d’une histoire personnelle et de « l’Histoire de la France ». S’enlacent la petite et la grande histoire dans un kaléidoscope de références musicales, télévisuelles ou cinématographiques, avec pour trame de fond, le questionnement autour de la mémoire collective et individuelle.
Ce qui frappe d’entrée de jeu avec la représentation de la troupe Zon’art, c’est l’aisance avec laquelle les jeunes comédiens réussissent à s’emparer des premières phrases du roman. La première d’entre elle, tirée de l’œuvre d’Anton Tchekov, donne la tonalité de la pièce. « C’est curieux, nous ne pouvons savoir aujourd’hui ce qui sera un jour considéré comme grand et important, médiocre et ridicule », écrivait l’auteur russe. Autant de bribes de souvenirs auxquels on prête tant d’importance ; de moments banals, lourds à porter et voués à disparaître. Annie Ernaux les catalogue avec fluidité, offrant cet étrange sentiment de proximité avec les événements.
Un défi totalement réussi
Les rafles pendant la Seconde guerre mondiale, l’avortement, l’élection de François Mitterrand, les us et coutumes d’autrefois, la troupe Zon’art a procédé à une sélection précise des histoires qu’elle souhaitait représenter. Pierre-Yves Raymond, le metteur en scène raconte, « le travail principal était d’éplucher le livre puis de faire un travail de réinterprétation, de trouver les thèmes principaux ». Pas évident de rassembler près de 35 comédiens autour de ce texte, qui n’avait jamais été adapté au théâtre. Un challenge pour cette troupe de l’Université de Cergy-Pontoise qui faisait payer pour la première fois son spectacle.
« Ce que j’ai trouvé réjouissant c’est leur dynamisme et leur cohésion. C’est une revisitation », a déclaré Annie Ernaux à l’issue de la représentation. L’équipe de Zon’art n’était pourtant pas habituée à ce genre littéraire jusqu’à présent. « On nous a proposé de monter cette pièce, mais nous ne l’avons pas choisie » me confie Pierre Yves Raymond, avant d’ajouter, « nous l’avons adapté à notre identité et je pense que cela a plu ».
En effet, loin d’altérer leur identité, la troupe Zon’art s’est emparée d’un texte et d’une histoire auxquels chaque individu a pu trouver une place. Les soixante-dix années de vie dépeintes par l’auteure continuent ainsi leur sillage dans la mémoire des générations actuelles.
Une belle retrouvaille après les Années
par Florian Guadalupe
«S’il devait y avoir un message dans cette pièce, ce serait le temps» a glissé Annie Ernaux. Beaucoup d’années ont défilé ce soir-là, encore plus pour Morgane, actrice de 19 ans de la troupe Zon’Art. Neuf automnes après, la jeune étudiante a retrouvé son père au théâtre de Cergy-Pontoise. Quand la pièce s’est achevée et qu’elle a découvert une rose dans sa loge, l’élégante comédienne a vite compris la situation.
Alors qu’elle ne l’avait pas vu depuis ses dix ans, le père et la fille se sont redécouverts dans le hall de l’établissement. «J’ai su qu’elle jouait sa pièce ce soir grâce à Facebook» a soufflé l’heureux papa au bord des larmes. Coïncidence ou choix délibéré, la réunion familiale conceptualise clairement l’oeuvre d’Annie Ernaux : l’émotion du temps qui passe.